Un entrefilet paru dans le Nouvel Observateur, le 21 juin 2012, nous apprend que la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels aurait refusé de délivrer la carte à six collaborateurs du Petit Journal. Cette nouvelle, si elle se confirmait, pose la question du statut des artisans de l’émission vedette de Canal+: sont-ils des journalistes professionnels au sens de la loi française?

La réponse implique d’abord de distinguer deux situations. La première concerne la reconnaissance du statut de journaliste professionnel par le droit français, tandis que la seconde se rapporte à la délivrance d’une carte de presse1, simple carte d’identité professionnelle, par la Commission.

Le Code du travail dispose qu’un journaliste professionnel est une «personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources» (article L. 7111-3).

Cette définition doit être décomposée en quatre parties distinctes2: (i) la nature de l’activité, (ii) l’importance de l’activité, (iii) le principal de ses ressources et (iv) le lieu de l’activité. À la fois la Commission et le juge appelé à se prononcer sur le statut d’une personne qui souhaite être reconnue comme journaliste professionnel doivent appliquer ces critères qui représentent autant de conditions cumulatives.

La jurisprudence reconnaît que le journaliste professionnel est celui qui effectue un travail intellectuel en relation avec l’actualité ou qui traite l’information relative à des faits réels et actuels d’intérêt général. Ses tâches s’étendent à la collecte, la sélection, la mise en forme, la présentation, l’analyse, l’explication ou le commentaire de l’actualité.

Il semble, bien que nous ne disposions pas des décisions de la Commission, que ce soit ce premier critère qui a été décisif. D’après les informations du Lab d’Europe 1, les journalistes qui se déplacent sur le terrain ont vu leur demande acceptée, tandis que ceux qui effectuent leur travail dans les bureaux du Petit Journal se seraient vus refuser la carte.

Pourtant, les uns et les autres satisfont au critère concernant la nature de leur activité. Qu’ils recueillent directement l’information auprès de ceux qui font l’actualité ou qu’ils traquent cette information dans les différentes sources à leur disposition (presse écrite, dépêches, internet, banques d’images, chaînes de télévision, stations radiophoniques, etc.) ne devrait avoir aucune incidence sur la reconnaissance de leur statut. D’autant que le Code du travail précise que sont «assimilés aux journalistes professionnels les collaborateurs directs de la rédaction» (article L. 7111-4)

Toute autre interprétation équivaudrait à juger la qualité du travail accompli par les artisans du Petit Journal, plutôt qu’à le qualifier d’un point de vue juridique. Les collaborateurs de l’émission accomplissent un travail de recherche et diffusent une information, notamment politique, qui n’est disponible nulle part ailleurs. Ils offrent un angle de traitement de l’information qu’aucun autre média n’envisage. Il est indéniable qu’ils traitent de faits réels et actuels qui sont d’intérêt général.

Les autres critères ne semblent pas poser problème puisqu’on peut inférer des faits disponibles que les artisans du Petit Journal exercent leur activité à titre principal et de façon régulière, qu’ils sont vraisemblablement rétribués, qu’ils tirent de leur activité journalistique le principal de leurs ressources et qu’ils exercent leur métier dans une entreprise de communication au public par voie électronique, telle que reconnue par la loi3.

Aucune raison ne justifie a priori le refus de délivrer une carte de presse à tous ceux qui apportent au Petit Journal une contribution journalistique puisque la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels est tenue d’appliquer ces critères légaux lorsqu’elle rend ses décisions4. Les personnes qui ont été déboutées doivent maintenant se tourner vers la Commission supérieure5 et présenter une réclamation visant à faire renverser les décisions rendues.

* Ce texte a été reproduit avec la permission de l’auteur: Louis-Philippe Gratton, «Les artisans du Petit Journal sont des journalistes professionnels», Le Huffington Post, 22 juin 2012, [url].

1 Code du travail, art. L. 7111-6.

2 Emmanuel Derieux, Le droit des médias, 4e éd., Paris, Dalloz, 2010, p. 75 à 83; et Emmanuel Derieux, Droit des médias – Droit français, européen et international, 6e éd., Paris, LGDJ-Lextenso, 2010, p. 375 à 402.

3 Code du travail, art. L. 7111-5. «[U]ne entreprise qui a pour activité la création d’oeuvres audiovisuelles destinées à être diffusées dans le public doit être regardée comme une entreprise de communication pour l’application combinée des dispositions précitées, alors même qu’elle n’assure pas directement cette diffusion.» (CE, 5 avril 2002, no 219829, Stéphane X.)

4 «La carte d’identité professionnelle des journalistes ne peut être délivrée qu’aux personnes qui, conformément aux dispositions des articles L. 7111-3 à L. 7111-5, sont journalistes professionnels ou sont assimilées à des journalistes professionnels.» (Code du travail, art. R. 7111-1.)

5 Code du travail, art. R. 7111-29.

Auteur:Louis-Philippe Gratton

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