Au temps des élections, artistes et autres intervenants des milieux culturels déplorent l’espace restreint accordé à la culture dans le débat politique. L’économie, l’emploi ou la santé accaparent généralement toute l’attention. Si la culture figure dans les programmes des partis politiques, elle est rarement au centre des discussions. La campagne électorale canadienne qui s’achève fait office d’exception*.

Le milieu culturel s’était mobilisé, particulièrement au Québec, avant même le déclenchement des élections fédérales. L’annonce de la suppression des programmes fédéraux Promart et Routes commerciales par le gouvernement conservateur de Stephen Harper avait donné lieu à une première manifestation, à Montréal, le 27 août 20081. Le rassemblement public aurait attiré quelque 2 500 personnes selon ses organisateurs, Culture Montréal et le Conseil des arts de Montréal.

Promart, un programme de la Direction des relations culturelles internationales du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international du Canada, vise la promotion de la culture canadienne à l’étranger. Le programme Routes commerciales, de Patrimoine canadien, aide les entreprises privées et les organismes sans but lucratif à se lancer à la conquête des marchés internationaux. Les deux programmes doivent prendre fin au terme du présent exercice financier, soit le 31 mars 2009.

La mobilisation culturelle s’est intensifiée durant la campagne électorale. Les artistes et les intervenants culturels se sont fait entendre non seulement par des manifestations et des interventions publiques, mais aussi par l’intermédiaire d’un clip humoristique qui s’est rapidement propagé sur internet. Culture en péril dénonce l’impact des différentes compressions dans le domaine de la culture – estimées entre 40 et 48,5 millions $CAN – sur l’économie canadienne. La vidéo se termine par un énoncé qui s’appuierait sur une étude du Conference Board du Canada2 (CBoC): «Chaque dollar investi dans les industries culturelles rapporte 11 fois plus en bénéfices directs ou indirects.»

«Pour en arriver à leur affirmation, les auteurs de la vidéo ont manipulé les chiffres de l’étude et ils en tirent des conclusions impropres à l’analyse économique»3, affirme Paul Daniel Muller. Les chiffres associés à l’impact des investissements en culture sur l’économie sont également remis en cause par l’équipe éditoriale du National Post4. Une lecture correcte de l’étude du CBoC, selon M. Muller, indiquerait que ce rapport de onze pour un ne peut être atteint qu’en incluant les impacts directs, indirects et induits des dépenses de l’ensemble des ordres de gouvernements au Canada dans le secteur culturel.

Au-delà des querelles de chiffres, le message véhiculé par le milieu culturel est parfois confus. Le clip, par exemple, dénonce à la fois les coupes budgétaires, la censure et l’insensibilité de la majorité anglophone canadienne à la culture québécoise. Le message se brouille encore davantage quand la ministre québécoise de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, Christine St-Pierre, en profite pour réclamer «une entente avec le gouvernement du Canada en matière de culture et de communications»5. Que demande alors le milieu culturel? Simplement de récupérer les crédits supprimés? Assurer plus largement un financement adéquat de la culture? Une politique culturelle plus ambitieuse et plus cohérente? La souveraineté culturelle du Québec?

L’engagement des artistes et des intervenants culturels a eu le mérite de donner à la culture la place qui lui revient dans un débat dont elle est trop souvent absente. Les questions essentielles auraient dû s’attacher à savoir quel est le rôle véritable des programmes supprimés, s’ils servent bien la culture et comment ils s’articulent avec le reste de la politique culturelle canadienne. Le débat aurait gagné en clarté si ces questions avaient été posées dans un premier temps, quitte à ce qu’il se porte ensuite sur un ensemble plus large de revendications bien définies et appuyées sur des chiffres précis. La démarche du milieu culturel aurait également gagné en efficacité si un effort pédagogique avait été consenti en faveur de la population et que les enjeux lui avaient été mieux expliqués. Le débat public en serait sorti gagnant, la culture aussi.

1 Collectif, «Lettre ouverte au premier ministre Stephen Harper – Une attaque au coeur de notre identité», Le Devoir, 28 août 2008.

2 Conference Board du Canada (Ottawa), Valoriser notre culture – Mesurer et comprendre l’économie créative du Canada (2008), p. 23.

3 Paul Daniel Muller, «Coupes en culture – Une vérité économique travestie», Le Devoir, 27 septembre 2008.

4 Anonyme [éditorial], «What counts as «culture»? Quite a lot, it turns out», National Post, 6 octobre 2008, p. A12.

5 Christine St-Pierre, «Culture – Des programmes essentiels à l’épanouissement de nos artistes», Le Devoir, 16 août 2008.

Auteur:Louis-Philippe Gratton

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