Au moment de lancer les travaux des États généraux de la presse écrite, le président de la République française, Nicolas Sarkozy, a affirmé que le rôle de l’État est «d’assurer les conditions nécessaires à l’existence d’une presse libre, indépendante, et pluraliste» et «de veiller à la bonne santé économique d’un secteur qui fait vivre des dizaines de milliers de personnes». L’État doit-il pour autant associer à la manoeuvre une profession qui revendique – à raison – une complète indépendance face aux pouvoirs publics?

Il existe certes des exemples ailleurs dans le monde démocratique d’exercices semblables. On peut mentionner la Commission royale sur les quotidiens1, mise sur pied au Canada en 1981. Les commissions royales canadiennes sont instaurées par le gouverneur en conseil, c’est-à-dire par décision du gouverneur général et du cabinet, mais elles sont encadrées par la Loi sur les enquêtes (LRC, c. I-11). On peut aussi penser à la Commission de la culture de l’Assemblée nationale du Québec qui a consacré, en 2001, un rapport à la concentration de la presse2. Que des parlementaires mènent des auditions publiques et entendent des témoins, cela s’inscrit dans leur mandat.

Il en va tout autrement d’un exercice qui assoit à la même table des émissaires du chef de l’État et des représentants de la presse pour décider de l’avenir de tout un secteur professionnel. Quatre pôles de discussion avaient été définis par l’exécutif, dont l’un était consacré aux métiers du journalisme. Le pôle présidé par Bruno Frappat devait notamment se prononcer sur des questions liées à la déontologie journalistique et à la responsabilité, aux droits et aux devoirs des rédactions. Le rapport des États généraux3 consigne les réflexions et les recommandations du groupe sur ces questions.

À la suite de la publication du rapport, le 8 janvier, mais avant les arbitrages rendus par le président de la République, le 23 janvier, Laurent Joffrin s’était demandé quelle inconvenance il y avait à parler avec l’État de l’avenir du secteur de la presse. «Pour avoir participé aux débats, les représentants de Libération peuvent en tout cas témoigner que les échanges furent libres et que le résultat final reflète pour l’essentiel la teneur des débats»4, avançait le directeur de Libé. C’est exactement là où le bât blesse.

L’indépendance de la presse ne se mesure pas à l’aune de critères factuels. La «dépendance imaginaire des journalistes»5, pour reprendre les mots d’Alain Duhamel, est largement suffisante. Il ne s’agit pas de pouvoir vérifier que chaque rédaction, que chaque journaliste est bel et bien indépendant à un moment déterminé, ni que tel article a été écrit et publié d’une manière indépendante. Le critère à prendre en compte est celui de l’apparence d’indépendance. L’importance de l’indépendance de la presse est telle que la simple apparence de dépendance envers quelque pouvoir que ce soit, et d’abord du pouvoir politique, est suffisante pour décrédibiliser toute une profession.

On entend et lit partout que l’information n’est pas un produit comme les autres. L’information aurait un caractère de service public. Elle contribuerait à éveiller le citoyen aux réalités du monde, à le responsabiliser et à lui donner les outils qui lui permettent de prendre des décisions éclairées. Les éditeurs de presse l’ont bien démontré: le monde de l’information n’est effectivement pas un secteur comme les autres en France. L’idée de l’indépendance que se font les industriels de nombreux autres secteurs économiques est sans doute beaucoup plus élevée que celle préconisée par de trop nombreuses rédactions françaises.

Dernière mise à jour: 24 octobre 2022

1 Canada, Ministère Approvisionnements et Services Canada, Commission royale sur les quotidiens (1981).

2 Québec, Assemblée nationale, Commission de la culture, La concentration de la presse (2001).

3 France, Ministère de la Culture et de la Communication, États généraux de la presse écrite – Livre vert (2009).

4 Laurent Joffrin, «États généraux de la presse: ce n’est qu’un début…», Libération, 13 janvier 2009, p. 28.

5 Alain Duhamel, «La dépendance imaginaire des journalistes», Libération, 15 janvier 2009, p. 29.

Auteur:Louis-Philippe Gratton

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